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[Le Temps d’aimer] Alban Richard, de la VR ou une Gigabarre

Les journées se suivent et ne se ressemblent pas au festival Le Temps d’aimer à Biarritz. Après un riche programme d’ouverture, les spectacles du lendemain furent plus décevants. Mais rattrapés par les multiples moments de danse dans les espaces publics et autres instants propres au festival, comme une répétition du Christine Hassid project, qui sera présent pour l’édition 2020.

N’ayez pas peur ! de Christine Hassid – Christine Hassid project (en répétition)

Après le néo-classique d’Introdans, le deuxième jour du Temps d’aimer 2019 était plus contemporain. Au Colisée tout d’abord, avec Holy de la troupe Affari Esteri. Edmond Russo et Shlomi Tuizer, deux danseurs, l’ont fondée en 2005. Holy est leur création de 2018, un long solo interprété par Shlomi Tuizer, ancien danseur de la Batsheva. Leur inspiration est tirée du poème Howl d’Allen Ginsberg, écrit en 1955, qualifié d'”obscène” à l’époque et qui valut une arrestation à ses deux éditeurs. Le texte est vu comme une protestation, un cri (tradition de Howl) de colère contre le conformisme. Porté par une voix récitant le poème, Shlomi Tuizer propose un solo tout personnel, une démarche intime, un cheminement intérieur. Une danse sincère et profonde, mais qui n’appartient finalement qu’au danseur, sans parvenir au public. C’est parfois là le danger de ce genre de projet : le solo reste une quête personnelle, un projet intime, qui ne franchit pas le quatrième mur. L’on reste ainsi très extérieur au propos, parfois même pas loin de l’indifférence, alors que l’on aimerait, au fond, partager l’histoire de ce danseur tant son geste est en soi profond (on ne vient pas de la Batsheva pour rien).

Holy d’Edmond Russo et Shlomi Tuizer

La soirée s’enchaîne avec Fix Me d’Alban Richard et le CCN de Caen qu’il dirige. C’est une tradition au Temps d’aimer d’inviter au moins un CCN par édition, même si l’univers du chorégraphe est très différent de celui de Thierry Malandain, directeur du festival. Plus performer que chorégraphe, Alban Richard se penche dans Fix Me sur l’énergie de la musique électronique d’Arnaud Rebotini. Sur scène, ils sont quatre danseurs et danseuses, chacun sur leur piste de danse, bougeant au rythme effréné de la musique. L’on ne le saura qu’après : chacun.e a en fait dans les oreilles non pas la musique mais des prêches d’évangélique américain. Pour le public, les quatre apparaissent comme des créatures du monde de la nuit, chacun dans son trip, avec son mal-être ou non. Se distingue Asha Thomas, avec tout l’attirail de la danseuse hip hop, au regard de la personne qui est revenue de tout et qui (se) regarde avec une distance amusée, quand ses comparses sont plus premier degré.

Le point de départ est intéressant. Nous sommes face à quatre créatures, venant d’horizons et passés différents. Mais alors que l’on s’attend à ce que chacun.e développe son univers, son langage chorégraphique, Alban Richard fait durer le procédé. Puis tombe dans ce qui est malheureusement l’un des grands travers de la danse contemporaine française : la performance où l’on met d’abord son ego sur la table. Le geste, le travail du corps, est oublié au profit d’un pseudo-message soit incompréhensible, soi superbement narcissique. Reste la musique lancinante d’Arnaud Rebotini, véritable cinquième artiste trônant autour de la scène. Le public est resté divisé : une partie a hué clairement (ce qui est plutôt rare dans le monde de la danse), l’autre a été très enthousiaste. Bonheur des festivals où les esthétiques comme les humeurs et les goûts se mélangent, et c’est ce qui rend aussi le monde de la danse vivant.

Fix me d’Alban Richard et Arnaud Rebotini – CCN de Caen

Mais au Temps d’aimer, la danse n’est pas que dans les théâtres. À l’heure du déjeuner, la foule est nombreuse dans le jardin public pour voir la jeune troupe Christine Hassid project. Voilà quelques semaines qu’elle répète dans les studios de la Gare du Midi sa pièce N’ayez pas peur !. Thème du moment pour cette création : le corps et la place des femmes, le métier de danseurs et danseuses, les auditions, l’image que l’on se renvoie… La chorégraphe Christine Hassid fait répéter trois extraits, sur de la musique militaire (passage non dénué d’humour), sur du Bach et sur de la musique électro (passage le plus convaincant). Tout est encore trop en working progress pour porter un jugement, mais la cohérence de la chorégraphe et la belle union de ses jeunes interprètes sont déjà là. Le résultat sera à voir au Temps d’aimer 2020. Quelques minutes de marche et nous voici au Casino, non pas pour jouer quelques piécettes pour se rendre dans le hall, pour Douce Dame de la compagnie Adéquate. Partant de la chanson d’amour courtois Douce dame jolie de Guillaume de Machaut (XIVe siècle), Lucie Augeai et David Gernez, accompagnés de deux musiciens chanteurs, revisitent le jeu amoureux et les danses populaires. Entouré du public, le quatuor se glisse dans une musique et des pas d’autrefois avec justesse. Et c’est quand ils chantent en choeur tout en dansant que la pièce se fait la plus belle, juste dans le geste comme dans la musique.

L’on pouvait ensuite se laisser séduire par quelques heures de farniente sur la grande plage. Et/ou se diriger vers la médiathèque de Biarritz pour deux séances de réalité virtuelle. La VR, pour les intimes, est devenu l’incontournable des festivals de danse et de cirque. Après les brillants projets présentés à la Biennale de la Danse de Lyon, où le public faisait partie intégrante du spectacle, le Temps d’aimer a choisi deux courts films immersifs, où l’on reste cette fois-ci passif, mais plongé dans un monde étonnant. Dreams of o est, comme tout projet du Cirque du Soleil, quelque chose qui en jette. Le court-métrage d’une quinzaine de minutes nous projette dans un spectacle aquatique de la compagnie, au milieu des plongeur.se.s, danseur.se.s et circassien.ne.s, comme l’on ne pourrait jamais l’être dans une salle de spectacle : les artistes sont au-dessus de nous, au-dessous, nous tournant autour, nous tendent la main. C’est visuellement magnifique, techniquement très au point et totalement dans l’univers du Cirque du Soleil, montrant tout ce que peut apporter la VR au spectacle vivant : non pas quelque chose qui remplace un spectacle, mais un outil permettant d’aller un peu plus loin après la représentation.

Dreams of o – Cirque du Soleil

Das Totale Thanz Theater 360, en coopération avec Arte, est tout aussi réussi. Nous voilà plongé dans un drôle de théâtre, en pyramide. Et nous montons petit à petit les étages, guidés par la soliste, alors que les danseurs et danseuses ne cessent d’évoluer autour de nous dans une chorégraphie sans temps mort. Le monde imaginaire de ce théâtre est fascinant et magnifique. Mais l’effet de la VR, où nous sommes acteurs du spectacle, est parfois cassé par le choix de la réalisation qui change de point de vue, passant d’une vision d’ensemble de la chorégraphie à une position au milieu du groupe sans transition. Das Totale Thanz Theater 360 est toutefois une réussite par sa qualité artistique.

Le Temps d’aimer ne serait enfin pas le Temps d’aimer sans sa Gigabarre dominicale face à l’Océan. Petite crainte la veille au soir : la météo annonçait de la pluie pour le lendemain 11h, heure du rendez-vous. Mais les nuages ont eu un peu d’avance, la pluie est tombée la nuit, et c’est un soleil radieux qui attendait les nombreuses danseuses et danseurs en herbe, ainsi qu’un public encore plus fourni (et en tant qu’amatrice, se faire applaudir après sa barre a quelque chose d’assez plaisant, on ne va pas se mentir). Richard Coudray, maître de ballet au Malandain Ballet Biarritz, est un maître dans cet exercice, guidant les très nombreux participants avec des exercices simples – mais parfois un peu retords – avec bonne humeur et pédagogie, avant quelques pas au milieu. Le thème ? Les 50 ans des premiers pas sur la lune. Avec quelques jeux de mots pour l’occasion. La Bayadère était ainsi le ballet préféré de Neil Armstrong, parce que La Bayadère-Y a pas d’air (sur la lune) de Marius Petipa (pour l’Homme, un grand pas pour l’humanité) (ça y est vous l’avez ?). De quoi reprendre la barre dans la bonne humeur.

Douce Dame de Lucie Augeai et David Gernez – Compagnie Adequate

 

Le Temps d’aimer la danse, samedi 7 septembre 2019. Holy d’Edmond Russo et Shlomi Tuizer par Shlomi Tuizer au Colisée ; Fix me d’Alban Richard et Arnaud Rebotini par le CCN de Caen au Théâtre du Casino ; N’ayez pas peur ! de Christine Hassid  par le Christine Hassid project en répétition au jardin public ; Douce Dame de Lucie Augeai et David Gernez par la compagnie Adequate dans les espaces publics du Théâtre du Casino ; Gigabarre du dimanche 8 septembre menée par Richard Coudray.




 

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