François Alu – Complètement Jetés !
Ecrit par : Jean-Frédéric Saumont
En congé de l’Opéra de Paris, François Alu écrit et interprète son spectacle d’un genre nouveau, Complètement Jetés !. Seul en scène durant une heure et demie, il joue, parle, se met dans la peau de plusieurs personnages. Et danse, bien sûr, magnifiquement. Conçu avec la complicité de Samuel Murez et coproduit par la compagnie 3e étage, Complètement Jetés ! est un autoportrait désopilant de François Alu, mais aussi un coup de projecteur malicieux sur la danse classique, les réseaux sociaux et les addictions qu’ils provoquent. Avec en prime une galerie de portraits où l’on peut s’amuser à identifier des personnalités (n’ayant évidemment aucun rapport avec qui que ce soit de connu du monde de la danse...). Ce spectacle d’une forme inédite est virtuose, drôle et généreux, à l’image du danseur François Alu. Même si persiste, au tomber de rideau, une certaine mélancolie face à un tel talent délaissé par son institution.

François Alu - Complètement Jetés!
Il y a une énigme François Alu dans son parcours au sein du Ballet de l’Opéra de Paris, dont la clef et la solution appartiennent à la Direction de la Danse. Surdoué, le danseur est entré à 10 ans à l'École de Danse, à 16 ans dans le ballet, a passé tous les échelons via le fameux et controversé Concours de promotion. Coryphée en 2011 un an après son recrutement, Sujet en 2012, Premier Danseur en 2013, son ascension est fulgurante. Personne ne doute, alors qu’il n’a pas encore 20 ans, qu’il sera nommé Étoile dans la foulée. Il interprète déjà les grands rôles du répertoire et avec la manière ! Basilio dans Don Quichotte à seulement 19 ans, puis Siegfried du Lac des Cygnes, Solor de La Bayadère. Et puis plus rien ou presque rien. Brigitte Lefèvre quitte la direction de la danse en 2014 et survint une crise de succession calamiteuse sous la gestion de Stéphane Lissner. La compagnie en fait les frais et en premier lieu François Alu. Salué par la critique et par le public, il n’est plus distribué que dans des seconds rôles et exclu des reprises de Don Quichotte, du Lac des Cygnes et de La Bayadère de ces dernières années. Ce danseur, qui régulièrement vole la vedette aux Étoiles à l’applaudimètre, semble ne plus être en cour et mis sur la touche. Le hashtag #AluEtoile commence à faire florès sur les réseaux sociaux.
Tout le monde est pourtant convaincu que cette nomination n’est qu’une question de mois. En décembre 2018, il endosse successivement le double rôle de l’Acteur Vedette et du Producteur dans la production fatiguée du Cendrillon de Rudolf Noureev. Il y est splendide : fabuleux acteur dans le rôle que créa Noureev lui-même et danseur délicat pour sa partenaire Silvia Saint-Martin. Il fut aussi un interprète exceptionnel de Jerome Robbins en reprenant le rôle créé pour Mikhaïl Baryshnikov, A Suite of Dances, dernier grand rôle de soliste que François Alu interpréta sur la scène du Palais Garnier. Aucune de ces brillantes prestations n’aura convaincu la Direction de la Danse de nommer François Alu Étoile, quand tout sur scène dit déjà qu’il a endossé ce titre depuis longtemps.
Il faut rappeler cette histoire pour comprendre pourquoi aujourd’hui, à bientôt 28 ans, François Alu se lance dans cette aventure d’un seul en scène qui casse tous les codes d’un spectacle de danse. Il s’y raconte longuement et sans concessions. Il sait se moquer avec gourmandise de tel ancien Directeur de l’Opéra de Paris gonflé de sa suffisance, d’un chorégraphe à la mode qui aime tellement les ballons, des journalistes paresseux qui posent les sempiternelles questions qui n’appellent en général aucune réponse. François Alu s'y révèle un comédien talentueux et un imitateur drôlissime. Mais il ne s’épargne pas non plus et ne manque jamais de pointer ses propres démons ou insuffisances : son indiscipline, sa boulimie, son addiction aux réseaux sociaux.

François Alu - Complètement Jetés!
Dans ce dialogue avec le public, François Alu peut être rabelaisien, même grivois à l’occasion. Ou égratigner au passage les codes parfois compassés de la danse classique, comme ce rituel des saluts qui ressemble davantage à une mécanique qu’à une ferveur publique. François Alu parle aussi de ses angoisses et de ses doutes : "J’ai tellement de mal à savoir ce que je veux ", dit son personnage et son double sur scène. C’est probablement la clef du cas Alu : il sait faire tant de choses qu’il a bien du mal à choisir. Et la danse dans tout cela ? François Alu ne freine pas son ardeur - ce n’est pas dans son répertoire !. Et il gratifie le public d'une douzaine de variations qui nous rassurent sur sa forme physique : sauts impeccables, tours en l’air stratosphériques, réceptions sans bavure. Ni sa mise à l’écart de la scène, ni la pandémie n’ont eu raison de sa technique. Et il est tout aussi réjouissant et virtuose dans le registre hip-hop, son autre face.
Un spectacle décidément atypique, comme le danseur. Le public s’y est rué et les abords du Trianon ressemblaient davantage à une soirée de concert rock qu'un show d’un Premier Danseur classique. Il n’y avait pas un demi-strapontin de libre dans cette salle de plus de 1.000 personnes. Aucun artiste de l’Opéra de Paris - et ce n'est pas leur faire injure - ne pourrait remplir sur son nom deux fois de suite une salle de cette taille. Comme au Théâtre Antoine il y a quatre ans, le public est là, fervent et fidèle. Sa participation à Danse avec les Stars sur TF1 lui octroie un surcroît de notoriété et c’est tant mieux. Soit dit en passant, sa présence dans cette émission fait davantage pour remplir Garnier et Bastille que n’importe quel article de presse.
On ressort ainsi du Trianon joyeux et ravi de voir que ce danseur fabuleux, dont la carrière a été freinée, trouve néanmoins les moyens de rebondir autrement, ailleurs, avec une sincérité et une spontanéité intactes. Et puis, l'on ressent tout à coup un peu de tristesse ou de nostalgie, notamment dans la variation de Basilio que François Alu danse dans son spectacle, sans décor ni costume. Juste le danseur, absolument magnifique, capable de solliciter instantanément nos émotions. À ce moment-là, il ne cabotine pas mais vient saluer le public avec humilité. Et on regrette amèrement qu’il ne danse pas ce rôle dans quelques semaines à Bastille. On se dit qu’il aurait probablement été le meilleur Basilio de cette série à venir. Et on espère alors que peut-être, un jour, qui sait...

François Alu - Complètement Jetés!
Complètement Jetés ! de Samuel Murez et François Alu, au Trianon de Paris. Interprété par François Alu. Dimanche 14 novembre 2021. À voir en tournée au Théâtre Fémina de Bordeaux le dimanche 21 novembre, d'autres dates à venir.
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