Paradis Lapsus de Pierre Rigal
Après Josette Baïz et José Montalvo, c’est au tour de Pierre Rigal de présenter son spectacle jeune public (à partir de 7 ans) au Théâtre National de Chaillot, dans le cadre de La Belle Saison avec l’enfance et la jeunesse. Paradis Lapsus, créée pour l’occasion, est la première œuvre du genre de ce talentueux touche-à-tout.
En effet, avant d’être chorégraphe, Pierre Rigal fut un athlète de haut niveau, étudia l’économie mathématique et le cinéma. C’est en 2003 que le public put découvrir sa première création, Erection, fascinant solo mis en scène avec la complicité d’Aurélien Bory, qu’il retrouva pour une deuxième pièce réjouissante : Arrêts de jeu. Depuis, il a su séduire un public toujours plus nombreux avec des spectacles proches de la performance comme Micro où il explorait l’univers du rock, mêler hip-hop et d’impressionnants jeux de lumières dans Asphalte, ou explorer les différents types de confrontations au sein d’une civilisation avec Théâtre des opérations.
Connaissant le talent de Pierre Rigal, sa capacité à créer des univers singuliers et son humour, le voir proposer une pièce à destination du jeune public est une idée réjouissante. D’autant que le thème choisi, le lapsus, est alléchant. Associé au mot paradis, il ferait même trépigner d’impatience : poésie, décalage, absurde et rire seront-ils au rendez-vous de ce dimanche de novembre terne et pluvieux ?
Une explication s’impose en préambule, car si le thème du lapsus est séduisant, il peut paraître étonnant s’agissant de danse. comme Pierre Rigal aime à le rappeler, l’origine latine du mot lapsus renvoie à l’action de trébucher. Accident physique et langagier sont donc associés dans ce terme. Et c’est ce que le chorégraphe se propose d’explorer. Langages verbal et corporel sont-ils toujours à même d’exprimer nos sentiments ? Et comme, selon Pierre Rigal, de ces accidents peuvent naitre de bonnes surprises, il leur associe dans une jolie formule le deuxième mot du titre, paradis.
Pour illustrer son propos, Pierre Rigal a choisi de mettre en scène un danseur et une danseuse hip-hop (Julien Saint-Maximin et Camille Regneault déjà interprètes d’Asphalte) et une chanteuse (Giselle Pape). Il nous présente deux personnages, qui, ayant perdu leurs voix, peinent à communiquer. Une réparatrice tente, avec plus ou moins de succès de les aider à retrouver leurs mots et à s’aimer. Danse, théâtre et des chansons composées avec quatre complices de Micro se mêlent dans un spectacle polymorphe.
Le début de la pièce est enthousiasmant. On y découvre un décor judicieux, fait de plusieurs estrades placées à des hauteurs différentes, permettant d’amusants jeux de cache-cache et laissant présager de jolies surprises. Des costumes évoquant les mangas, épaulettes apparentes, plumes aux oreilles et tresse sur le côté pour la danseuse, ainsi que des appareils électroniques désuets nous plongent dans un univers très tendance, délicieusement 80’s. Le vocabulaire chorégraphique d’abord robotique, se fait au fur et à mesure plus acrobatique, les interprètes se figeant dans des poses de hip-hop complexes. Mais contrairement à ce que laissait espérer les premières scènes, les interprètes semblent vite gênés dans leurs mouvements par l’étroitesse des différents niveaux du décors, finalement plus contraignant que ludique, et manquent de l’espace suffisant pour déployer leur danse.
Ce vocabulaire corporel, souvent volontairement maladroit, est tout au long de la pièce accompagné de mots. Ils sont l’affaire de la réparatrice de voix perdue/ chanteuse. Il y a d’abord ceux qu’elle met, par l’intermédiaire d’une bande sonore, dans la bouche des deux interprètes avec plus ou moins de réussite, provoquant parfois sons étranges et dialogues absurdes qui ne manquent pas de faire rire. Il y a ensuite ceux qu’elle chante et avec lesquels elle joue parfois avec bonheur, comme dans ce si joli “Ça m’embrasse de m’embarrasser, non, ça m’embarrasse de t’embêter, non non non, ça t’embêterait de m’embrasser ? Ça t’embêterait de m’embêter…“. Il y a enfin les lettres de Paradis Lapsus, présentes dans le décor et qu’elle sépare pour former de nouveaux mots.
Mais malgré de jolies trouvailles, des moments drôles ou poétiques, Paradis Lapsus ne convainc pas totalement. Les saynètes s’enchainent et un certain ennui s’installe. Il est en fait difficile de savoir à qui Pierre Rigal s’adresse avec ce spectacle. La simplicité de la chorégraphie, les mouvements des protagonistes parfois enfantins, la multiplication de saynètes quelque peu répétitives et une progression assez lente de l’intrigue semblent avoir été pensés pour les plus jeunes. Le thème, qu’il s’agisse de la difficulté à s’exprimer avec des mots, à habiter son corps, ou de l’émoi d’une relation amoureuse naissante concerne plutôt les adolescents, tout comme l’univers manga 80’s qui leur parle et sait les séduire. Quant au vocabulaire choisi, tour à tour difficile ou désuet, seuls les adultes y sont sensibles. Résultat : adultes, adolescents et enfants trouvent par moment leur compte dans ce spectacle, mais aucun totalement.
Pierre Rigal dit avoir pensé pour ce spectacle aux amours adolescentes et aux enfants qui ont des difficultés avec la parole, par timidité ou par complexe. Mais les conclusions qu’il propose laissent songeur. “Inutile de tenter de communiquer puisque de toutes façons les histoires d’amour finissent mal” d’une part. “Je me déteste, peut-être que si je m’insulte et que je me déteste encore plus fort, je finirai par m’aimer” d’autre part. Si elles peuvent faire sourire ou réfléchir les adultes, elle n’aideront sîrement pas adolescents et enfants à surmonter ces problèmes souvent bien réels !
Paradis Lapsus de Pierre Rigal, au Théâtre National de Chaillot dans le cadre de La Belle Saison avec l’enfance et la jeunesse. Conception et mise en scène de Pierre Rigal. Chorégraphie de Pierre Rigal assisté de Camille Regneault et Julien Saint-Maximin. Musiques et chants de Micro Réalité : Mélanie Chartreux, Malik Djoudi, Gwenaël Drapeau, Julien Lepreux, Pierre Rigal. Conseiller à la dramaturgie Taïcyr Fadel. Lumière et scénographie de Frédéric Stoll. Collaboratrice artistique Mélanie Chartreux. Costumes de Sakina M’sa. Peinture décor d’Isadora de Ratuld. Régie son Marc de Frutos. Mise en production Sophie Schneider. Stagiaire assistante artistique Cécile Lazerges. Avec Gisèle Pape (chant), Camille Regneault (danse) et Julien Saint-Maximin (danse). Dimanche 16 novembre 2014.
En tournée
Du 12 au 25 novembre 2014 au Théâtre National de Chaillot, Paris.
Les 4 et 5 décembre 2014 à L’Onde, Vélizy-Villacoublay.
Les 12 et 13 décembre 2014 au Théâtre Sorano, Toulouse.
Le 19 décembre 2014 à La Caravelle/ Festival sur un petit nuage, Marcheprime.
Le 13 mars 2015 au Carré – Les Colonnes, St-Médard-en-Jalles.
Le 27 mars 2015 au Parvis, scène nationale, Tarbes.
Le 4 avril 2015 au Grand T/ Festival Petits et Grands, Nantes.
Les 13 et 14 avril au Tandem – Arras Douai, Arras.
Du 27 au 30 mai 2015 à la Maison de la Musique/ Festival VOX, Nanterre.