Sae Eun Park nommé Danseuse Étoile – Retour sur son début de carrière
Sae Eun Park a été nommée Danseuse Étoile du Ballet de l’Opéra de Paris le 10 juin dernier, à l’issue de sa prise de rôle de Juliette dans Roméo et Juliette, et après plus d’un an sans scène avec la crise sanitaire. À 30 ans, elle n’est plus une jeune espoir mais un talent affirmé, que le public – et DALP – a déjà remarqué depuis plusieurs années. Retour avec nos archives sur ses déjà dix ans passés à l’Opéra de Paris, jusqu’à sa nomination.
Retracer le début de carrière de Sae Eun Park jusqu’à sa nomination d’Étoile demande de remonter assez loin. En 2007 plus exactement, lorsqu’elle remporte le Prix de Lausanne… Mais DALP n’existait pas encore. Il faut attendre 2011 et le Concours externe de recrutement du Ballet de l’Opéra de Paris pour retrouver pour la première fois son nom dans les archives. La danseuse, auparavant soliste au Ballet de Corée qui a choisi de repartir à zéro au Ballet de l’Opéra de Paris, est classée troisième, juste devant une certaine Hannah O’Neill (leur parcours ne cesseront ensuite de se suivre). Une place qui permet à Sae Eun Park de devenir surnuméraire sous l’ère de Brigitte Lefèvre, et de se faire remarquer petit à petit dans le corps de ballet par sa présence et son assurance technique. La danseuse se fait aussi rapidement sa place dans les galas en banlieue et région parisienne. On la retrouve ainsi dès 2012 au sein du groupe de Karl Paquette, en duo avec un certain Hugo Marchand ou Pierre-Arthur Raveau (que l’on regrette beaucoup dans un rôle de premier plan, au passage). Sae Eun Park est définitivement engagée en 2012, après juste une saison en tant que surnuméraire, au Ballet de l’Opéra de Paris, en même temps qu’Alice Catonnet, Antonio Conforti et Antonin Monié.
Sae Eun Park ne traîne pas dans la hiérarchie et passe Coryphée dès son premier Concours de promotion, en novembre 2012, avec notamment la variation du Grand Pas de Paquita : « Dès son entrée avec sa diagonale de grands jetés, le classement était fait. On sent que c’est une danseuse rompue aux concours et qui n’a pas peur de cet exercice« . Son magistral brio technique était là, mais manquait encore une personnalité plus affirmée. Et c’est un peu ce qui ressort pour nous lors de son deuxième Concours de promotion, qui la voit monter Sujet, avec la Flûte de Suite en blanc et The Four Seasons : « Sae Eun Park a montré une grande assurance et de grandes facilités techniques, mais pas vraiment de personnalité. Sa promotion, qui devrait lui ouvrir d’autres rôles, devrait la faire progresser de ce point de vue« . Les rôles mettent néanmoins une petite année à arriver : on la voit ainsi en Henriette dans le pas de six de Raymonda donné pour la soirée d’adieux de Nicolas Le Riche, ou dans un genre très différent – Rain d’Anne Teresa de Keersmaeker – qui initie la danseuse au répertoire contemporain, même si ce n’est pas forcément dans ces pièces qu’on la remarque le plus.
Benjamin Millepied prend ensuite la direction du Ballet. À la fin de l’année 2014, Sae Eun Park ne passe pas Première danseuse – C’est Laura Hecquet qui a droit à la promotion. C’est pourtant là qu’elle montre pour la première fois une personnalité magistrale dans un rôle dramatique, avec la variation de Nikiya : « La ballerine s’est jetée à corps perdu dans cette variation, montrant une grande intensité dramatique et une présence très forte« . Elle aussi touche son premier rôle d’Étoile avec Naïla dans La Source de Jean-Guillaume Bart : « La danseuse se sert de toutes ses superbes qualités techniques, sa danse si ciselée, précise et aérienne ne peut que donner vie à Naïla. Elle a de plus, déjà, un certain sens de la nuance« . Le nouveau Directeur de la Danse est aussi convaincu et continue de donner de belles opportunités à Sae Eun Park : dans Le Chant de la Terre de John Neumeier (« Chez les danseuses, Sae Eun Park se fond à merveille dans cet univers inspiré du Milieu. Sa chevelure ébène et son visage serein tout comme sa danse déliée – sans fioritures – suscitent l’apaisement« ), et surtout dans Le Lac des cygnes au printemps 2015, dans le rôle mythique de Odette/Odile, au côté de François Alu. Une prise de rôle prometteur pour DALP, que ce soit en répétition ou sur scène : « Plus jeunes pousses, Sae Eun Park et Hannah O’Neill ont forcément proposé des interprétations moins abouties, mais qui laissaient voir de fortes personnalités, et indéniablement des tempéraments de solistes« . Sae Eun Park fait ainsi indéniablement partie des valeurs sûres de la « Génération Millepied » et une belle carrière se profile devant elle.
Pourtant, tout ne va pas aussi vite ensuite. Au Concours de promotion 2015, ce sont Hannah O’Neill et Léonore Baulac qui passent Première danseuse, même si Sae Eun Park se fait aussi remarquer dans sa variation libre, Other Dances (« Une danse incroyablement précise et fine, une interprétation engagée« ). Elle est néanmoins distribuée dans la création La Nuit s’achève de Benjamin Millepied, se fait remarquer dans celle de Justin Peck Entre Chien et loup (la Plume d’or de l’interprète pour notre rédactrice/professure Lorena Lopez). Sae Eun Park affirme ainsi son grand talent pour le répertoire Balanchine, Robbins et le néo-classique américain, où sa technique si affûtée et sa musicalité font des merveilles.
Pendant ce temps, Benjamin Millepied a laissé sa place à Aurélie Dupont. Et ce changement de direction ne marque pas une différence profonde dans la carrière de Sae Eun Park. La danseuse continue de monter dans la hiérarchie – elle passe Première danseuse à l’automne 2016 en reprenant la variation de Paquita – mais connaît des distributions irrégulières, alternant quelques belles prises de rôles avec des emplois plus secondaires. Pour la série du Lac des cygnes de 2017, elle doit ainsi se contenter du pas de trois, malgré sa belle prise de rôle un an plus tôt. Idem pour Don Quichotte en décembre, où elle danse une amie de grand luxe et quelques Reines de dryades. Parallèlement, elle danse magistralement Diamants dans Joyaux de George Balanchine – « La ballerine prend tout avec une grande intelligence et esprit, avec beaucoup de finesse et une grâce infinie, mettant si bien en avant les clins d’oeil à Marius Petipa » – qui lui vaut quelques mois plus tard un Benois de la Danse mérité. Plus tard, elle danse aussi Tatiana dans Onéguine de John Cranko, une partition dramatique néo-classique dont elle n’a pas forcément l’habitude.
Deux belles réussites qui annoncent un titre d’Étoile ? Là encore, Sae Eun Park doit patienter entre beaux rôles et pas de trois. On salue sa performance en Manon dans La Dame aux camélias de John Neumeier en décembre 2018 – « Sae Eun Park a été magistrale en Manon, vénéneuse et mystérieuse, mettant sa danse absolument superbe (quelle technicienne !) au service de son personnage et de la tension dramatique« . Elle alterne le pas de trois avec Odette/Odile dans la série suivante du Lac des cygnes, mais doit se contenter seulement de Henriette dans la très attendue reprise de Raymonda en décembre 2019… Las, une série qui ne voit pas le jour, faut des grèves. Sa prestation, néanmoins, marque les esprits. Tout comme sa prise de rôle de Myrtha dans Giselle, deux mois plus tard, à couper le souffle : « Seule sur scène, elle incarne la totalité de cet acte blanc : éthérée à souhait, d’une absolue légèreté dans les sauts, précise et sans trembler dans les arabesques. Au-delà de sa technique majuscule, elle donne du sens à son personnage« .
Et puis la crise sanitaire arrive… Sae Eun Park n’a cependant rien perdu de sa forme, et lors de la soirée de reprise Étoiles de l’Opéra de Paris, dansée en octobre dernier sur l’avant-scène du Palais Garnier, elle hypnotise dans sa Mort du cygne : « Avec juste ce qu’il faut de la fébrilité qui sied au personnage, la Première danseuse, dont on perçoit qu’elle a beaucoup travaillé pour le rôle, livre une proposition aboutie et très incarnée« . Un bon présage pour la suite ? Les quelques mois de fermeture n’arrêtent pas cette belle lancée et Sae Eun Park a droit à la première de Roméo et Juliette, pour sa prise de rôle de Juliette, lors de la grande reprise de juin. Un signe qui ne trompe pas les balletomanes ! À 30 ans, et malgré un début de carrière où elle aura parfois dû faire preuve de patience, Sae Eun Park a enfin droit au titre d’Étoile. La saison prochaine, plus classique, devrait lui permettre de continuer à briller et multiplier les rôles.